Comme une bête en cage

Dans l'ombre, elle avait trouvée refuge. Astucieusement installée entre le mur et le lit, elle en profitait pour aiguiser ses griffes sur sa peau grise. Une marque, deux marques, trois marques, rougeoyantes, éclairaient maintenant son poignet sur un ton qu'elle trouvait sobre et attirant, bien loin du coté morbide de la chose.
*Je n'ai pas peur de la mort*

Cela faisait maintenant longtemps que la jeune fille avait rennoncé a la mort, souffrir, périr à petit feu, lentement, était bien plus amusant. Pourquoi mettre une fin à la vie alors qu'elle peut être d'un tel amusement ?
C'est vrai, la vie permet de souffrir, de faire souffrir, de désillusionner, de torturer dans tout les sens, alors pourquoi s'en passer. Carmen jubilait.
Elle n'était pas de nature méchante, ni même mesquinne, mais elle aimait rendre au centuple ce que l'humanité lui avait fait subir auparavant.
Moqueries, tromperies, tout genre de comportements lâches, humiliation, et j'en passe. Carmen ne supportait pas l'humanité. L'humanité est detestable... Haissable...

*L'espèce la plus stupide, la seule qui jubile en créant l'objet de sa perte et ne le remarque même pas !*

Elle n'était pas particulièrement intelligente, mais par delà le prisme de sa vie perdue, elle voyait le monde différement, au delà des préjugés des apparences, elle savait bien que l'homme le plus bête est celui qui se croit le plus savant.

Elle soupira, seule dans son néant interieur. Ses yeux brillaient de cette mauvaises lueur jaune alors que le sang coulait doucement de son poignet. Telle un chat, elle lêcha la blessure et secoua ses longs cheveux noirs de jais. Elle s'interompit soudain, braquant ses yeux vers la porte, certaine d'avoir entendu un bruit.

N111ER14N maudit son incompétence. Il avait trébuché contre une grille à regarder ici et là. Il se plaqua contre le mur et loua sa combinaison de n'être pas d'une couleur affriolante. Le détenu s'allongea afin de ne pas être repéré par les gardiens et avança en rampant. Aucun gardien ne se présenta à sa vue. Il passa la tête et observa la cellule. Une personne s'y tenait.
Quel code appliquer ? N111ER14N se recolla contre le mur et réfléchit à toutes les possibilitées que lui offraient la situation. Elle serait contente du résultat, c'est sûr. Derrière son masque, N111ER14N sourit.

Il approcha de l'entrée et tint ses mains sur les barreaux. Vêtu d'une combinaison de latex noir et d'un masque distendu de cuir blanc, il semblait tout droit sortit d'une autre réalité. Un carcan lui enserrait la gorge et deux gros anneaux où des cadrans indiquaient plusieurs relevés étaient à ses poignets. Une épée pendait à sa taille.

- Au nom de la reine, déclinez votre identité !

Sa voix ne retentit pas mais fut cependant assez ferme pour prouver qu'il n'était pas un rigolo du MI6 et bel et bien un des plus glorieux agents de la Reine. Il avait positionné sa main gauche non loin du pommeau de l'épée et s'apprêtait à brandir et fendre l'air d'un gester léger et précis. Non, N111ER14N ne faillira pas dans sa mission. A l'intérieur de cette prison son efficacité se révélerait entièrement. Cet agent prenait toujours très à coeur son métier.

Un regard méprisant cueuilli l'inconnu.
*Un fou de plus ! Un !* pensa Carmen en son fort interieur.
Elle le jaugea rapidement. Il était vêtu d'une tenue étrange, semblait bien portant, était armé. Carmen soupira. De toute évidence, elle allait devoir répondre à sa requête, si stupide fut elle, l'inconnu avait les moyens de la faire souffrir et elle ne tolerait ce geste que venant d'elle même.
"J'm'appelle Carmen" lâcha t'elle en gromelant. "Et toi ?"

Elle avait posé la question même si cela ne l'importait guère, c'était juste histoire de meubler sa petite vie, car elle en était consciente : ici, seule, elle allait rudement s'ennuyer. Elle n'aurai jamais assez de feuilles pour écrire tout son saoul, les livres allaient lui manquer et la souffrance serait surement sa seule occupation, il fallait bien qu'elle trouve autre chose. Intérieurement, elle s'était décidée à parler aux gens, mais, résolue de ne s'attacher à personne, elle était déterminée à mepriser tous ceux qui feront son quotidien, aprés tout, on s'ennuie beaucoup moins en joutant verbalement avec quelqu'un que l'on abhorre plutôt qu'en parlant chiffon avec une hypothétique amie...

*Y a t-il des gens saints d'esprits ici ?* se demanda t'elle en son fort interieur *Y en a t-il seulement dans le genre Humain*
C'était une question existencielle, mais la jeune fille connaissait la réponse. Il n'y avait aucun fou chez les humains, tout comme leur espèce ne comptait aucun saint d'esprit. La réponse était évidente : la raison étant question du point de vue d'un individu, la raison universelle n'existait pas. Les hommes seraient toujours en désaccord sur un point... toujours...

*c'est pathétique*

Machinalement, elle fit craquer les articulations de ses doigts avec un sourire satisfait. Un peu de sang maculait encore ses mains mais elle n'en avait cure. Aprés tout chacun peut faire ce qu'il veut avec ce qui lui appartiens, elle était dans son droit. Mais y avait il encore un droit ici ?
Carmen secoua resolument la tête, laissant ses cheveux fouetter l'air alentour dans un rideau de jais.

*Arrête de te poser des questions dont tu connais la réponse parfaitement !*

Une voix sans émotions ni artifices lui rétorqua immédiatement.

- My name is N. N cent onze E R quatorze N.

Le réplique lui était venue machinalement. Un rectangle de sucre fondant dans une tasse de café, une cuiller d'huile dans du vinaigre. Aussi simplement que ces deux gestes, avec une facilité déconcertante. Il vint apposer son corps contre la grille qui le séparait de la prisonnière et s'accroupit.
Il apposa son index sur là où devait se trouver sa bouche et lui intima de faire silence. Le craquement qu'elle avait produit se répercutait de murs en murs et d'oreilles en oreilles.
Sa voix n'était qu'un murmure de plus.

- Faites moins de bruit si vous espérer pouvoir sortir de trou à rat...

Il sembla prendre quelque chose dans sa main et l’amena près de la grille. Sous sa peau pulsèrent les veines et les liens autour de ses poignets crépitèrent. Il modela la charge de plastique et sortit un minuteur à distance. Il se releva et partit en maugréant quelque chose, un quelque chose bien inaudible pour la jeune prisonnière.
Un éclat lumineux irradiait depuis sa main. Le plastique, contre le sol et la grille, était là, menaçant.

La détonation de l'explosif s'attacha l'attention de tous. Pas de flamme, juste une déflagration qui détruisit nettement et sans bavures les grilles. Etrange, la cellule ne subit aucun dommage collatéral. Pas un gramme de métal ne fut projeté dans la cellule, tout instantannément broyé ou fondu par la puissance du choc.
Un nuage de poussière grisâtre vint emplir l'air et se poser sur les murs. Plusieurs sons sourds, comme quelque chose que l'on cogne contre un mur lourdement résonèrent. Le nuage persista plusieurs minutes en l'air et la forme particulière de N111ER14N fut bientôt décelable, se découpant à travers l'horizon gris.

Lui même hésita, à présent peu certain de l'utilité de l'action qu'il vint d'entreprendre. Il regarda derrière lui, comme cherchant quelque chose avant d'adresser la parole à la jeune femme. Les liens de fer n'enserraient plus ses poingets, et celui de son cou restait encore crépitant d'énergie. La sorte de carcan semblait avoir subi plusieurs coups, des copeaux de métal manquaient à l'appel.

- Venez. La Reine n'aime pas attendre. Nous sortirons rapidement d'ici.

Il sortit une arme à feu de son dos et l'arma.

Carmen se leva, pris le temps d'épousseter ses vêtement et s'avança vers l'inconnu. Peut être allait il mettre un peu de piment dans cette vie monocorde. Cet espoir caressa un instant l'esprit de Carmen. C'était séduisant comme pensée, c'était étrange, comme si l'envie renaissait quelque peu au fond de ce coeur dont on avait perdu la clé depuis si longtmps.
La jeune fille rejeta ses cheveux fins et noirs derrière elle et fit la réverence devant l'inconnu.

"Je vous suis"

Elle avait parlé de façon polie même si quelques étincelles pétillaient au fond de ses yeux couleur néant.

*j'me comprends pas des fois*
Non, elle ne se comprenait pas, pourquoi décidait elle de le suivre alors que son esprit de contradiction aurait précisément voulu qu'elle refuse ? Pourquoi s'obstinait elle à croire en l'espoir alors qu'il n'y en avait aucun ? Pourquoi agissait elle ainsi alors qu'elle avait mieux a faire ?

Un pas avant l'autre. Lentement. Sans aucun bruit, sous l'oeil endormi des détenus ils progressent. Les gardiens n'entendent pas. Ils dorment. Jouent. Ronflent. Charment leur collègue. Ne pas avoir de mixité au sein des gardiens eut été une grave erreur. Ils ne l'ont pas commise, ici. Il est étrange que les gardiens n'aient pas entendu la détonation. Pourtant elle a soufflé un grille entière. Non. Carmen et son compagnon armé passent devant une salle remplie de ces hommes. Ils ne les voient pas. Trop occupés à boire et à manger, peut-être. Maintenant, N111ER14N s'allonge et rampe. La lumière est un nimbe, le silence son auréole. Où est la sortie ? Où est l'entrée ? Ô Minautore tu ne te cacherais pas qu'ils t'affronteraient sans l'ombre d'une hésitation.

Caché. Un mouvement. Bref et furtif. Est-ce un homme qui frappa, ou fut-ce une ombre parmi d'autres ? Une plainte, douloureuse pour l'ouïe s'échappe de N111ER14N. Il est soulevé par le coup et est accroupi contre une rambarde. Sa vision se trouble. Il partage sa vision avec Carmen. La sienne se trouble aussi. Une fugace instant il n'y a plus de couloir, plus de gardiens jouant. Plus rien. Une seconde, le temps s'est arrêté. Il a même opéré un retour. Carmen est dans sa cellule. La seconde suivante, elle se retrouve derrière l'autre prisonnier. Il tient son bras. Il se contente d'hocher du visage. Ou plutôt du masque.

Carmen est dans sa cellule.

" Application Béta Quatre Vingt Cinq ! Vite vite vite ! "

Carmen est dans sa cellule. La courte aventure qui fut la sienne en dehors des barreaux est terminée. Achevée. Finie. L'explosion n'a apparemment pas eu lieue. Il n'y a rien pour la détruire. En bas de la grille se trouvent deux menottes au funeste destin. Arrachées, détruites, on ne saurait se prononcer. Un tonfa s'abat sur N111ER14N. Le coup est violent, en pleine tête. Le prisonnier chute au sol. En une quinte de toux il crache du sang. Il n'est plus vêtu d'un vêtement de latex. Un habit simple de matières synthétiques. Son visage n'est plus dissimulé. N111ER14N ne semble avoir jamais été là. Il se tient un autre prisonnier. Un autre homme.
Quatre gardiens et deux médecins l'entourent. Deux des gardiens braquent leur armes à feu sur lui, un autre le maintient au sol et le dernier le frappe encore. Encore. Encore. Encore. Le sol est maculé de sang. Les médecins observent. Ils tiennent des seringues dans les mains, et implantent l'aiguille de chacune d'elles sous l'épiderme de l'homme. On le relève. Il peine à tenir lui même sur ses propres jambes. N111ER14N, ou tout du moins l'homme qui l'a remplacé tourne son regard vitreux vers elle. Il articule quelques mots.

" C-C'est... ainsi... que nous sortirons.
- Tais toi sale chien ! "

Un autre coup. Du sang sur le poing ganté du gardien.

La scène s'est passée si vite que Carmen n'est pas sûre d'avoir tout vu, tout c'est troublé, elle est perdue, complètement perdue. Où est elle ? Un regard alentour la renseigne : revenue dans sa cellule. Ses yeux cherchent partout une explication, il ya des gardiens et des médecins, mais Carmen ne voit plus celui qui lui avait si gentillement proposé une escapade... Ou peut être ne le reconnait elle pas, car il y a un autre homme, qui la regarde et balbutie quelque chose...
Il reçoit un coup et Carmen se mord la langue pour ne pas injurier ce guardien sans scrupule...
*Grrrr Ils ne savent pas qu'on ne bat pas un homme à terre ou blessé ? ou sans défense ou ...*
Elle doit arrêter de penser, se dit elle, cela l'enerve encore plus, et bientôt un gout métalique envahit sa bouche. Elle claque des machoires pour l'en chasser, c'est désagréable.
Sans bruit, elle se recule, dans le coin qu'elle occuppait avant tout cela, et elle observe ses griffes, une mèche tombe devant ses yeux qu'elle ne prends pas la peine de chasser. Elle relève les yeux pour scuter le décor.
Non ce n'était pas un rêve, cela fait longtemps qu'elle ne rêve plus. Oui c'était réel, en témoigne les médecins et les gardiens...
*Battards !*